Bouillon

B(r)ouillon

Tu dors et moi j'écris. Tu es dans la chambre, moi dans le salon, paupières fermées, paupières mouillées. J'ai mal partout, le stéthoscope dans l'estomac, le thermomètre au fond de la gorge, le chat me tient compagnie, mais tu sais, il ne m'aime pas trop.
J'aurais du fermer les yeux, tout à l'heure, quand ton regard de chasseur. C'était trop dur, de repousser ta main, de te dire que je suis allergique aux poils de chat.
Ton souffle est lent, tu es ailleurs, moi je suis encore ici, il faudrait que tu me sauves, de ces cauchemars au plongeon du cil. Que tu me serres contre toi, que tu me cries que tu es là, parce que regarde sous cette couette, c'est la chamade du froid. Il faudrait que tu lui donnes la main, à ma douleur, elle vient de toi, secoue les draps, j'ai mal partout.
Je n'arrive plus à respirer. Ton cri de jouissance, depuis, tu ne m'as plus embrassé. Tu étais venu me chercher, la première fois, on avait dormi par terre et j'avais la clé. Mais tu ne voulais pas que moi, la porte franchie, que je sois ailleurs, toi encore ici. Parce que tes bras m'ont mimé l'étau, je suis revenu, j'ai laissé sa chance au billet retour. Je t'ai dit, que j'allais me cogner, ton sourire m'a joué le jeu qui vaut bien. J'ai ouvert le pari. Le pantalon en l'air, et puis, tu ne m'as plus approché.
Tu ronfles, braconneur, le chat a renversé mon sac. Et la chandelle. Dans ta chambre, la veille de ton ordinateur me fait l'ambulance.

Ecran noir et fin de journée. Mes péripéties ferroviaires m'ont conduites à Nantes, je ne suis pas encore tout à fait arrivé, pas tout à fait. Quand vient l'heure, quelque fois dans l'année, de revenir ici, je suis toujours épuisé. C'est ici que vient s'échouer mon océan d'émotions, je me cache une semaine, parfois quelques jours seulement, je suis loin.
Je n'arrive pas encore à débrouiller cette bouillie visqueuse d'émotions qui me prend à la gorge. Je ne suis pas encore arrivé, pas tout à fait, j'ai encore ce rôle à jouer pour voir un regard mourir dans mes larmes, un beau coup de théâtre, à m'en faire vomir. Il ne veut pas me faire de mal, il ne faut pas compter sur lui pour ça. Trop tard, tu sais, tu ne sais pas, trop tard, c'est déjà fait.
Il ne me connaîtra jamais vraiment. Il ne verra pas ces coulisses enfiévrées de romances nerveuses, au-delà des projecteurs, de mon sourire dramatique, de mon verbe calculé.


Et puis, c'est toujours comme ça. Toujours. Sans bruit s'insinuant de partout, de tous les pores, dans toutes les gares, silencieuse et tapie, prête à frapper, de la violence de la fin d'un monde, elle est toujours là. C'est à la moindre brèche, au moindre interstice, du rêve éveillé, de l'ivresse qui s'endort, du lyrisme qui meurt, elle attend. Et puis c'est toujours comme ça, toujours. Elle frappe sans prévenir. Et la violence de la fin d'un monde, elle brûle, elle incendie, elle s'engouffre en hurlant. Jusque dans le cœur, à en faire mourir le cœur, à la bloquer pour qu'il s'arrête. S'arrête enfin, parce que la réalité est là, elle n'a ni couleur, ni visage, seulement cette consistance abominable. Palpable à s'en arracher les phalanges, elle cogne sans trêve, inlassable et jusqu'à l'agonie, d'un corps sans cœur, d'un corps qui ne pense plus. D'une immondice humaine, qui attend la mort comme un dernier hoquet, l'espoir du dernier hoquet, l'espoir de la fin. Elle cogne tout rêve et se retire toujours avant, le dernier souffle qui embue salement le plancher. Détruit les genoux, mutile les bras, scarifie le sexe, mâchure la bouche, dévaste l'estomac à en vomir pour la dernière fois. Crève les yeux et concasse les neurones, à ce qu'ils en descendent, à ce qu'ils se descendent, en fosse commune dans une ultime merde. Et repart, juste avant, juste avant. Ne laissant plus qu'une ombre béante échouée devant un long tunnel qui ricane, un long tunnel de vie, vide de toute canne.

L'ivresse ne devrait jamais finir, il faudrait occuper chaque seconde, chaque effort à la faire perdurer, à la maintenir, encore. Les fantasmes et les ailes lyriques ne devraient pas laisser de fêlure, jamais, entre leurs murs oniriques. La vie n'est pas faite comme dans les livres, elle ne l'est jamais. Le cœur l'oublie, et puis la réalité tapie. C'est pour ça, qu'il me faut tout écrire, tout, eux, elles, et ici, là. Tout, parce que, je n'ai jamais voulu de ce corps d'homme aux yeux d'enfants, que je passe ma vie à attendre, cette chrysalide de papier qui m'enfermerait dans ses lignes. Alors je pourrai mourir, vraiment, jusqu'au bout. Jusqu'au bout de mes feuilles de papillon.





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J'ai parcouru mille fois ces deux ou trois enjambées qui sont devenus une compétition locale de cloche-pied, d'agilité. Mille fois en scrutant, ici, et là, quelque chose qui brillerait, quelque chose qui me ferait ouvrir mes yeux puant l'alcool. Ouvrir grand, et les fenêtres aussi, mais mon quotidien terni par les jours de lipothymie. Partout et rien d'autre, du café froid qui se languit, des fonds de bière qui s'évapore, des vêtements partout, de la peinture sur les murs, la vaisselle sale déborde de la table et vient murmurer des grossièretés aux épluchures de clémentines. Des livres et des miettes éparses de tabac viennent s'échouer dans mon lit, elles bercent mes rêves noires, jette des regards hagards sur la peinture giflée sur le mur. De tout mon corps était bel et bien noir, lui aussi.

Ce midi je n'ai pas oublié de fermer la porte, et c'était une demi-heure pour dénicher, dans le chaos de mon grenier, quelque chose d'encore propre. A porter pour apporter encore quelques fragments de ma voix brisée. Quinze bonnes minutes pour la deuxième chaussure, retrouvée dans les échos du verre cassé, quelques jours déjà, pas ramassé. Alors saoul du bruit des autres corps, écrasé par la rame de métro, j'ai hissé dans mes jambes le sursaut d'une énergie, c'était la course à la voie numéro onze, finir grelottant noyé par l'axonge du contrôleur. De quai, échoué dans une ville plus accueillante sous un large dais, vespéral – mais je ne le savais pas encore.

Encore, juste dessous ses sourcils étonnés, se reflétait un lac oublié dans un village bercé. Les vieux promeneurs, chemises pimpantes et assorties, piétinaient à demi-mot, tout autour de l'eau, pour attendre une éclaircie. De là-haut ; on riait encore, dessous ses sourcils apeurés, par une minute provoquée, un au revoir à donner. Il piaffait de sa fuite véhiculée, parce que le lampadaire l'avait vu rougir de ce qu'il n'était pas tout à fait prêt. Des songes de petit prince dans la main, moi je n'étais pas sûr de réussir à le retenir. Et j'y croyais tout de même un peu. Un train à la minute d'à côté, je regardais quand même, une fois ou deux sur le côté, les carrosses d'acier que le hasard me faisait croiser.

A tâtons, sans bruit je suis rentré, par les rues qui se tordent, entre l'esquile et le pharaon, les yeux grands ouverts sur mon bordel ankylosé. Il est finalement pire qu'il ne l'a jamais été, comme si de toute pièce je l'avais créé. Et même les détritus allongés dans la salle de bain, et même ces moutons de poussière qui s'agitent le matin. J'attendais, encore quelques fragments, de mémoire, d'instants, l'instinct m'immobilisait, en silence je ne voulais plus me déshabiller. Il ne fallait pas laisser, cette journée se terminer, pourtant je sais que demain, je pourrais me lever tôt, et tout ranger. Sauf, peut-être, quelques mikados, ingénus éclopés.
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Un paquet de riz Auchan, des crozets de Savoie, un pot de Nutella, de la pâte de Spéculoos, du miel, du sucre, du thé, du chocolat au lait, une boite de ton naturel, cinq pommes de terre, de la farine, de l'huile d'olive, du vinaigre, un pot de moutarde, du beurre, deux bières de 25 centilitres. Rien de plus.
Situation caisse d'épargne Rhône-Alpes -409,39 euros, solde marqué en rouge, 61 centimes sur le livret A, cinquante centimes tout pile sur le livret jeune. Vos possibilités de retrait sont insuffisantes, tu m'étonnes ma poule, mais file-moi quand même vingt euros, même dix, c'est pour la bonne cause, je mange du riz depuis deux semaines, je t'en supplie. Automate muet, une voix électronique aurait pourtant été la bienvenue, que je puisse tenter une séduction numérique. Cinq euros trente-huit centimes dans mon portefeuille. Il me reste mon chéquier, on sait jamais, histoire que j'épate une caissière et que je me retrouve interdit bancaire.
Un paquet de tabac à rouler Golden Virginia, des feuilles Rizla + noires, des filtres Rizla +, dix euros cinquante centimes au total, glanés il y a une semaines dans toutes mes poches, même les fonds de sac, même la petite cagnotte de secours planqués sur mon étagère dans un coin. Dernier paquet de cigarettes industrielles qui pleurniche dans la poubelle avec des épluchures de patate.
C'est cocasse, un étudiant qui vit intégralement avec un smic dans le quartier le plus bobo de Toulouse où le verre de vin rouge piquette s'acoquine avec la dizaine. Les rues sont belles, ont une histoire, et ici les gens font leurs courses entre l'épicerie fine de la place, le fromager et le boucher, le Petit Casino, Monoprix, Picard. Papa et Maman versent mensuellement le revenu d'une femme de ménage à temps plein sur le compte géré par le rejeton inconscient d'une famille bourgeoise, il déglutit du poids de ses sacs Lidl en empoignant transpirant les marches de la bouche du métro, de la bouffe discount ramenée d'un autre quartier. Papa et Maman se souviennent de leurs premières années difficiles avec leurs salaires de misère d'étudiants internes en médecine, ils lancent des sourires compatissants et apprennent la vie à l'enfant pourri gâté qui ne comprend pas. Aux Carmes à Toulouse, les passants voient arriver un gamin habillé en clown chargé comme un mulet de sacs aux couleurs d'une chaine alimentaire dont on entend parler au journal de vingt heures, ils s'extasient de voir en chair et en os un rescapé de l'URSS.
Je me marre et je danse transi de ma fanfare. Je m'expérimente à rouler le mieux possible le tabac à modeler, il faut mettre le filtre, vite, avant que la construction patatra, s'est écroulée. Mes grains de riz à répétition, kaplas miniatures aux plus grandes illusions. D'optique farouche, adieu les cinq fruits et légumes, les pots de pesto rosso Barilla, je survis lancinement pour des cadeaux hors de prix. A mes amis, ce n'est pas un grand sacrifice, j'en allume des feux d'artifice, dans leurs yeux. Quand il ne reste plus rien à l'espoir je me hisse. Et je le sais, je recommencerai, je me ficherai haut et fort du banquier soupe au lait. Pour des billets de train, des pellicules à développer, des lendemains à décuver, des présents emballés, des yeux fatigués au petit matin. Peu importe si je n'ai plus de quoi manger, j'ai tout ce bonheur à donner.
Plus de produit vaisselle ni de quoi payer le plombier pour l'évier de la cuisine à réparer. Dans mon microscopique lavabo de salle de bain, je joue à la dinette. C'est si petit, je nettoie les choses une par une, je fais mousser le savon et je tambouille dans mes casseroles sales de riz au Nutella. De Nutella au riz. Il suffit d'y croire. Playmobil, en avant les histoires.

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