Bouillon

B(r)ouillon

Tu étais sur la plage. On avait l'habitude de se retrouver sur la plage, à des heures changeantes au ressac des chaudes journées d'été. On s'enfonçait chaudement dans l'été, on s'enfonçait légèrement dans le sable. On se fonçait dedans, on s'accrochait d'avant. Il y avait encore quelques serviettes habitées, de l'écume jusqu'à toi, de loin je t'ai vu.
Je suis arrivé par la côte, tu étais sous cet arbre qui ploie de toute sa force vers la mer. Tu m'attendais là. Avec fracas je marchais, de mes yeux secs je voyais toi, toi sous l'éternité pluvieuse des branches, chaque pas me cognait l'estomac vide. J'ai levé la tête et j'ai levé ma bouteille à la dernière gorgée. Je battais démesurément une mesure lourde, mes tympans saignaient ce rythme sourd. Ce n'était pas des secondes, la chamade non plus. C'était tout mon corps qui résonnait en long en large de ces vagues pleines de vide. J'ai donné la bouteille à la mer, le bras jeté vers l'arrière.
Mes bras sont tombés quand ta paupière s'est levée. Le soleil fuyait, tu as avalé la folie de mes yeux. Tu as écouté mes deux bleus, longtemps tu as écouté avec tes marrons. Tes marasques. Ils ont perdu toute contenance.
Les vertèbres du marteau qui martelait mon ventre ont commencé à trembler. J'ai tourné la tête. La mer emporter mon alcool. Le vent l'abysse qui vrombissait ma pupille. Je t'ai quitté au concert de ma voix aphone.

Depuis quatre mois, j'attends le moment où je devrais écrire à nouveau. Quand on n'est pas prêt, les excuses pleuvent sans s'arrêter. On les amoncelle comme les larmes, ce sont des cartons à faire, puis des cartons à défaire, une scolarité, un boulot d'été. Ce sont et ce sont, ce sont encore, ce sont encore, j'occupe mes mains autrement.

Et si le bon moment, ce n'était pas le moment le plus intemporel, un dimanche matin à quatre heures du matin. Quand tout le monde s'est enfin couché, quand le silence devient le plus total, quand les yeux si fatigués redessinent tout différemment. Quand le blanc de cette page devient le plus coloré des paysages.

Depuis quatre mois, je pleure sans arrêt. Je pleure quand je me réveille. Je me réveille quand je pleure. Je pleure parce que je me réveille. Je pleure quand je ramasse les débris des malheurs autours de moi, je pleure quand je prends ce pont, et que personne ne m'attend de l'autre côté, je pleure quand je me sens sans force aucune. Je pleure sans force. Je pleure tous les jours, je pleure tous les temps, je pleure tous les vents, je pleure dedans, je pleure dehors. Je pleure quand j'entends, j'ai peur quand j'attends, j'ai peur de pleurer encore.
Je me réveille quand je pleure. Je pleure quand je me réveille. Quand je me réveille de ces quatre mois, je pleure de clore cet été qui ne veut ne se laisse pas mourir. Je pleure de décider l'automne. Je donne mes larmes à l'aumône de ce que personne ne voit. Depuis quatre mois mon ectoplasme pisse par les yeux.

J'occupe mes mains autrement pour qu'elles ne me serrent pas la gorge, parce que c'est ainsi, c'est écrire ou la folie.

 

 

 

Un soir je lui dis : Enlève ma peau sale, mords-là partout, arrache cette peau sale, salée salie saoulée sous ce lit. Arrache cette peau sale, je n'en veux plus, attrape les dédales, de mes veines, mets-les à nu. Avec tes ongles avec tes dents fais couler ton mon sang, arrache tout, arrache ce cœur qui ne bat plus.
Elle me regarde, elle dit : Ecorché vif, tu m'aimeras ?
Je lui dis : Si tu n'as pas peur des mares rouges qui jettent leur ancre dans les bouges.
Elle dit : Je peindrai la mer en bleu.
Je lui dis : Arrache ma peau sale.
Elle dit : Allonge-toi, que je détache tes souvenirs.

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Une semaine et demi que je suis ici, que le train m'a laissé hagard sur le quai de la gare, j'étais sale et amoché, je ne pense pas être mieux aujourd'hui. Il sera désintégré, bientôt, il ne sera plus qu'un petit galet, sur cette plage de Saint-Malo, dans mes yeux la mer se suicide, son sang salé soupire sur les sanctuaires saouls du temps.
Il faut que je reprenne la route, que j'arrête d'attendre le mieux. Les paris étaient ouverts, je n'avais que mon cœur à perdre.
Le pouls perdu en chemin, et ce recueil d'Apollinaire oublié ; l'unique survivant des naufrages que je vis seul. Voguent mes linceuls, ces morceaux de moi qui disparaissent dans les yeux des toi.

Si mon cadavre ride le sable, enfin, il sentira le large, tu retrouveras mon corps, moi je l'aurai pris.

Je ne vois aucune cohérence relier gentiment les instants, les émotions, les endroits, tous ces petits moutons, rien qu'une vaste mare dans laquelle j'ai plongé en septembre, ou plutôt, je me suis laissé glisser. A la surface, mon étendard, décrépi, et puis moi en apnée, tout au fond, immobile. Alors au fond, il ne fait pas toujours noir, mais il n'y a pas des kilomètres à parcourir, tout devient liquide, on attrape rien, et les doigts fripés, et les pensées s'usent, au gré des marées. Ce sont des mois sans vie et je n'en ai aucun souvenir, pourtant ils sont si proches et presque encore sous le porche, il y a même hier, au fond de ma poche. J'ai des cernes dans l'encéphale, je décalque mes joues trop pâles. Sur les oreillers, je dors trop tard, déjà l'heure du déjeuner.
Je n'ai pas cette énergie folle, pour sortir de la mare, et je sais que je n'émergerai pas triomphant, d'un rebond sur la vase du fond. Non, mais je tisse cette nébuleuse de mots, échelle des jours d'ailleurs. Je récupèrerai ce drapeau malheureux, ma mélancolie qui claque au vent, je serai debout, je serai encore un enfant. Loin des regards, tout doucement, puisque derrière-moi le vide des derniers mois, et il faudra courir, pour agiter les émois.

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