Bouillon

B(r)ouillon

C'est tout mon corps qui réagit à la vie tout, chaque parcelle, de la tête aux pieds. Chaque chahut de cils, chaque bras en écharpe.

Alors d'un mouvement incohérent, décorrélé, inconscient, je perds la parole aussi vite que je perds l'envie. Je perds la parole et quand alors mes lèvres sont closes, il faut que je me mette à décrire autrement. Il faut écrire,
seul loin de tout et de toi
seul face au clavier,
au stylo.
à la mine indélébile.
Débile.

Les lèvres hermétiquement,
quand je ferme la porte
de ma chambre d'enfant
quand je repars là
où personne ne m'attend.

Il est trois heures du matin.
et je n'ai plus envie,
de sourire,
de rire,
je n'ai plus de repère,
de père,
de mère,
de mer. 

J'aimerais
être moins fatigué,
et trouver une émotion oublié
dans ce vide marais.
Cage.
 Je ne sais pas si je fais les bons choix. Mais, qui peut le savoir ? Le savoir. Choix, choir, chaise, chose.
- Qu'est-ce que c'est faire un choix ?
- Je ne sais plus, je l'ai oublié dans les méandres des fleuves qui passent.
- Dans les méandres des jours qui passent.
- Oui, à chaque jour ses choix.
- Qu'est-ce que c'est faire un choix ?
- C'est oublier de vivre. N'y pense pas trop.

Il est quatorze heures trente, encore, quand les jours se ressemblent à n'en plus finir, le ciel change et se cousent les cernes. Les regards en berne.
Je transpire de tabac, de tout, il fait trop chaud dans ce lit où je suis seul, dans cette chambre où je suis seul, la lumière change le jour court à sa fin. Il faut trop chaud mais je reste. Allongé, recroquevillé, debout, sur cette couette, sous la couette, assis, en tailleur, la tête en l'air. Je reste dans ce désert sans fin.
Autour de moi des montagnes de livres, au-dessus de la couette au-dessous du lit, des cigarettes un briquet, des nœuds de vêtements.
Je transpose les temps, je tisse des fils instables. Je me jette dessus à plat ventre, je fais l'équilibriste maladroit. J'appelle je chante je parle je lis, j'écoute. Transe. Pause.
J'ai les mains moites, et le cours qui commence dans une heure. Quelle drôlerie ! J'effiloche un peu encore la bouteille de whisky.
Je n'irai pas. Je boutonne l'éternelle blague en haut, en haute voltige en riant. Je ravaude la vie à mes billebaudes.
Je t'attends.

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Il était tard, et dans la pièce d'à côté. Tu désarçonnais la laineuse haridelle, chuintait l'architrave sous la charrue du chérubin. Le planché s'est mis à grincer, hésitant, dans la nuit blanche. Les fêlures du plancher décomposaient tes pas, tard. Dans la nuit de la porte de ma chambre, le charivari de toi le serrurier de la herse en détresse.
Tu as dit : Est-ce que je peux dormir avec toi ?
J'ai peint ce sourire sans couleur, d'une tristesse infinie. Sans autre masque que la courbe de ma bouche. A la pénombre de la lampe se détachait le pourpre pâle de ton petit caleçon, arqué.
J'ai dit : Encore ?
Tu as dit : Oui, encore.
Déboussolé au soleil vespéral, je parcourais le soukoun de ma velléité vocale. Mon inertie t'as fait noctuelle, t'as fait vriller. Vers la fenêtre muette vers le mur aveugle, violentée ta houppe ébène, dessus ton minois laiteux.
Je n'ai pas bougé.
Après, j'ai dit : Mais, qu'est-ce que tu veux ?
Et tu as dit : Je ne veux pas dormir tout seul, je veux dormir avec toi.

Là, tard, les fêlures du plancher ont englouti nos pas, les bris du blanc cassé de la nuit du couloir. Tu me voulais moi pour labourer le champ fauve du matelas. Partout faufilais tes doigts, tes cantiques partout autour de moi. Mes cinq droits harassée sentinelle du donjon, un peu gauche.
J'ai dit : Non.
Alors j'ai entrecroisé nos tortueuses lignes, toi et moi une seule forme dans la brume nocturne. La noctuelle s'est envolée. Nous dans le désordre, d'un lit soudainement trop grand, un corps deux cœurs. Quatre mains pour dessiner une inexpugnable douceur, biseauter toute pudeur, gribouiller de chaleur.
Mes questions, tes réponses. Tes questions. Il était tard et je me suis mis à te raconter, Rémi le dernier, le vide du silence de nos mois pointillés, plus jamais, ce couple coma, coupant encore quelques semaines avant. Forcément tu m'as serré moins fort, et l'ange est passé.
J'ai attendu.
Alors c'est toi qui a pris les pinceaux de l'étreinte lancée à toute allure, vers la pointe du jour. Vers l'étoile qui passe. Et puis moi aussi je t'ai agrippé au temps pour nous, jusqu'au réveil je t'ai agrippé.

Dans le courant d'air du battant, l'hiver s'engouffrait, croassait sur mon pull et ton regard cerné. Tu avais remis ta gueule d'ange et moi mon sans souci. Vite j'ai esquissé à ta joue et tu as acquiescé en dépliant tes bras. Parce que devant l'inévitable qu'on savait là, on a arraché le nœud de nous et d'un même geste. Tu es parti, je me suis retourné.
Pourtant il était déjà tard, trop tard. Les fêlures du plancher mâchuraient mes pas, je laissais dissoner le jour au velouté de ta peau. J'ai gommé les sillons de notre fief, cette terre blême scarifiée, par deux serfs à la nuit châtelaine.
Sans te retourner tu perds mon nom, notre étreinte tu soldes au vent de l'hiver. Sans partir j'erre quand la lune ne m'éteint plus, dans les nuits nues je manie la chaux. Les fins de vacances me plongent dans une angoisse sans nom.

J'ai pris mes claques à mettre, aplaties dans un sac caduque, crachotées les deux stations de métro. Dans mon trousseau le double de clé d'un autre appartement, chaleureux radeau de naufragés en mal de mer, en mal, d'ailleurs. D'ailleurs tu n'as pas cherché à me retenir, de là où tu es. Depuis ton dramatique donjon de deux.
La fermeture a lâché prise de ma main je ramasse les débris de bataclans.
L'interphone, les escaliers, je passe le halo de l'entrée ouverte mes yeux dans les défroques mes larmes dans les bras. Je monte sur le paillasson, l'apothéose de la mascarade, l'envol de notre amitié.

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