Tu as dit : Est-ce que je peux dormir avec toi ?
J'ai peint ce sourire sans couleur, d'une tristesse infinie. Sans autre masque que la courbe de ma bouche. A la pénombre de la lampe se détachait le pourpre pâle de ton petit caleçon, arqué.
J'ai dit : Encore ?
Tu as dit : Oui, encore.
Déboussolé au soleil vespéral, je parcourais le soukoun de ma velléité vocale. Mon inertie t'as fait noctuelle, t'as fait vriller. Vers la fenêtre muette vers le mur aveugle, violentée ta houppe ébène, dessus ton minois laiteux.
Je n'ai pas bougé.
Après, j'ai dit : Mais, qu'est-ce que tu veux ?
Et tu as dit : Je ne veux pas dormir tout seul, je veux dormir avec toi.
Là, tard, les fêlures du plancher ont englouti nos pas, les bris du blanc cassé de la nuit du couloir. Tu me voulais moi pour labourer le champ fauve du matelas. Partout faufilais tes doigts, tes cantiques partout autour de moi. Mes cinq droits harassée sentinelle du donjon, un peu gauche.
J'ai dit : Non.
Alors j'ai entrecroisé nos tortueuses lignes, toi et moi une seule forme dans la brume nocturne. La noctuelle s'est envolée. Nous dans le désordre, d'un lit soudainement trop grand, un corps deux cœurs. Quatre mains pour dessiner une inexpugnable douceur, biseauter toute pudeur, gribouiller de chaleur.
Mes questions, tes réponses. Tes questions. Il était tard et je me suis mis à te raconter, Rémi le dernier, le vide du silence de nos mois pointillés, plus jamais, ce couple coma, coupant encore quelques semaines avant. Forcément tu m'as serré moins fort, et l'ange est passé.
J'ai attendu.
Alors c'est toi qui a pris les pinceaux de l'étreinte lancée à toute allure, vers la pointe du jour. Vers l'étoile qui passe. Et puis moi aussi je t'ai agrippé au temps pour nous, jusqu'au réveil je t'ai agrippé.
Dans le courant d'air du battant, l'hiver s'engouffrait, croassait sur mon pull et ton regard cerné. Tu avais remis ta gueule d'ange et moi mon sans souci. Vite j'ai esquissé à ta joue et tu as acquiescé en dépliant tes bras. Parce que devant l'inévitable qu'on savait là, on a arraché le nœud de nous et d'un même geste. Tu es parti, je me suis retourné.
Pourtant il était déjà tard, trop tard. Les fêlures du plancher mâchuraient mes pas, je laissais dissoner le jour au velouté de ta peau. J'ai gommé les sillons de notre fief, cette terre blême scarifiée, par deux serfs à la nuit châtelaine.
Sans te retourner tu perds mon nom, notre étreinte tu soldes au vent de l'hiver. Sans partir j'erre quand la lune ne m'éteint plus, dans les nuits nues je manie la chaux. Les fins de vacances me plongent dans une angoisse sans nom.