Bouillon

B(r)ouillon

Tu ne dis plus rien d'autre même dans un râle d'amour, tu ne dis plus rien d'autre que ce qui rend chaque chose vivante.
Tu murmures à l'affaissement de ma nuque.
Derrière le garde-fou balbutie du suc.
C'est quelque chose de si étrange. D'avoir connu cet amour qui aurait pu durer pour la vie, d'avoir senti cet amour si profond qui pouvait ne pas s'arrêter.
J'ai du croire à l'éternité de cet amour.
Puis de n'en avoir plus voulu, de cet amour pour toujours. D'un coup et avec une impulsion incontrôlable, d'avoir voulu tuer cet amour. De l'avoir balayer avec une force froide.
Les mots froids échangés.

Ensuite, je n'avais pas réalisé, que je n'avais rien tué. Que j'avais passé cet été à ne pas parler. Cet été mutique, pour les autres et pour moi-même. Cet été résumé à l'inexistence de cet amour, et pour cela à une inexistence totale.
Cela, je ne l'avais pas réalisé.
En septembre, il est revenu. Alors j'ai compris que je portais cet amour en dormance dans le creux de mon épiderme. Ma peau s'est muée de murmures.
Ebahi. Ebahi, je ne l'ai pas reconnu cet amour qui avait hiberné à l'intérieur de moi. Je l'ai regardé et je n'ai rien pu contrôler. Je l'ai laissé grandir.
C'était une naissance totale.
Je me suis laissé enfanter cet amour de toi qui n'était plus toi.

Je l'ai apprivoisé.
J'ai vécu avec cet amour schizophrène chaque jour.
Tu as vécu avec cet amour schizophrène chaque jour.
Nos imaginations ont été si grandes, que lorsque je t'ai revu, j'ai toujours été étonné.
Toi aussi, peut-être.



http://bouillon.cowblog.fr/images/Photo34.jpg


Je ne sais d'où cette évidence s'échappe, il y a quelques jours à peine un et demi plus tard. Une porte s'ouvre quelque part ; à la volée et la douleur s'engouffre et mes yeux grelottent dans ce courant d'air auquel je ne peux me soustraire. Cette fulgurante effusion froide, qui traverse. Qui harcèle.
Je répète les paroles, répète sans comprendre la chanson ; tout autour je ne vois rien d'autre que cet arrachement de toi.
Je gémis, je ne suis plus rien d'autre qu'un enfant terrifié, au fond de mon lit on vient refermer des serres sur ces souvenirs de toi. La musique recommence me perce les tympans. Hurle. Je ne la comprends plus. Je comprends, recroquevillé autour de mon cœur que je peux serrer de toutes mes forces, je ne parviendrai pas à empêcher ce rapt de notre histoire. Je me débats et la folie est là, et je lutte hystérique contre ce courant d'air – ce courant d'air de moi.
Je rouvre les yeux et je lâche. Pris. Je laisse l'assaillant souffler plus loin son butin. Dans la nuit, loin, et le silence est advenu. Au plafond s'écrit une histoire que je n'avais jamais lue, celle où j'ai continué seul, chaque jour, à vivre avec toi. Ton prénom partout auréolé dans ce conte. Je regarde ce prénom, toi qui étais devenu un prénom.

Je dis : "Rémi, je commence mon deuil de toi."

Passé minuit c'est toujours la même chose.
J'aurais la force d'enfiler des vêtements, n'importe lesquels je m'en fiche, sans regarder le miroir, mais sans oublier trois cigarettes, au moins. Un corps nu et trois cigarettes.
Passé minuit c'est toujours la même chose, le goût d'inachevé de cette histoire me pourrit la bouche.
J'aurais la force d'aller jusqu'à cette foutue rue Gambetta et de me glisser dans le creux d'un lit que je ne connais que d'imaginaire – parce qu'un jour, j'ai refusé de le connaître.
Le numéro 11. En se passant des mots.

Et puis, il lui avait hurlé dessus, il était parti en dansant, follement incontrôlable, follement désespéré à la recherche d'un espoir, il était parti la chercher dans les flaques nébuleuses des toilettes bondés, tendu sa flasque et des bras titubant d'alcool, ils s'étaient compris. Il était reparti.

Il avait foncé en dansant, autour de son ventre qui agitait vers elle les palpitations d'un étendard esseulé. De l'orange et de l'orange, puisqu'elle était rose, la sono s'infiltrait jusque dans les gorges, à ne plus s'entendre. Et ce n'était rien, le temps de se retourner, ce n'était rien, de plus que deux bouches qui se cherchaient. Les tubes en vogue s'écrasaient sur ses tympans et l'électron libre, des quatre coins de la foule, entrait en collision avec un cœur trop grand. Deux anonymes et deux prénoms, deux garçons et elle s'effaçait. Il n'y avait plus qu'eux, dépouillés peu à peu, plus d'autre repère que le corps l'autre, dans la boussole d'un départ sectorisé.

Il ne l'avait plus vu que le temps d'un sourire, follement incontrôlable, la seule qui pourrait comprendre. Que le temps d'avoir peur et de lui tendre un bagage, trop lourd. Au beau milieu de tous les autres qui braillaient, elle comprenait.

Il était là, revenu le chercher dans la foule, revenu lui dire de. L'attendre, parler, l'entendre, lui tendre, ses bras. Il était là, revenu le chercher, mais lui ne se doutait encore pas. Le sol était dur et la douche un peu petite, forcément mal isolée. Il lui répétait ses yeux magnifiques, ses deux yeux si expressifs et lui ne répondait qu'en ne perdant plus rien, des autres yeux. Les visages dans les mains, le sol était moins dur, parce qu'il suffisait d'oublier. De déshabiller la réalité, plus d'autre repère que le corps de l'autre. Et puis, que l'autre.

Il souriait, sans s'arrêter, vaporeux de faim, parce que dans ces heures l'estomac gesticulait, il fallait rire que le sperme, ce n'est pas un repas. L'un souriait, l'autre dormait, l'un prenait la fuite et l'autre l'a pris, pris dans ses bras. L'a serré de ne plus le vouloir enfui, l'a serré encore. Pas assez fort.


http://bouillon.cowblog.fr/images/DSCF8815.jpg

<< < | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | > >>

Créer un podcast